Arrivé quelques instants après Ange, en suivant ses directives, Elemiah s'était tapis dans un coin du studio, droit comme un I et imperturbable. Pour les quelques humains présents, on pouvait penser qu'il s'agissait d'un vigile en position qui tentait d'éviter le moindre problème. Si extérieurement l'Ange pouvait sembler des plus serein, il n'en était rien de son esprit plus qu'en alerte. Il n'aimait pas ça du tout. Peut-être qu'une fois de plus sa paranoïa envers les êtres démoniaques avait prit le dessus, mais il n'avait aucune confiance en Nybbas qui tenait les ficelles. Malgré une certaine réticence vis à vis du danger auquel elle s'exposait, il n'avait pas tenter d'empêcher Ange, se posant à sa juste place dans la hiérarchie en plus de savoir qu'une fois que la jeune femme avait une idée en tête, elle ne la laisserait pas tomber. Tel père telle fille comme on dit.

Le regard de l'Ange croisa celui de sa fille qui tentait de le rassurer, comme si elle pouvait sentir toute cette tension qu'il tâchait de dissimuler aux quelques regards présents. Il resterait en retrait, probablement invisible dans la masse tant que les choses iront correctement et si ça venait à dégénérer il n'hésiterait pas à s'imposer et intervenir pour calmer les quelques colériques qui s'étaient détourner de la voie de leur Père. Au moment où l'Archange entra en scène, il lui lança un regard qui voulait en dire long. Le « Ne fais pas de bêtises » était perceptible clairement, de plus en plus tendu si bien qu'il finit par enfuir ses mains dans son dos pour ne pas le montrer.

Le moment fatidique approchait et les choses ne seraient sûrement pas simples d'autant plus que la maître des lieux s'était planqué dans un coin, comme si le Prince Démon avait pré-sentit quelque chose de terrible s'il n'avait pas lui même organisé un coup monté. En cet instant Elemiah aurait aimé l'avoir sous les yeux histoire d'être certain que ses paroles et autres engagements n'avaient pas été que du vent pour endormir Ange.

Le jeu commença sur des airs de téléréalité, chaque mot devenait une véritable dague pour l'Ange des Convertis qui priait intérieurement pour que les choses se passent bien. Ange ne tarda pas à entamer ses révélations, s'exposant elle et son hôte à des milliers de téléspectateurs en plus du public présent sur place. Les insultes ne tardèrent pas non plus, bien que sa fille reprit rapidement la situation en main. Elemiah adopta une position plus offensive, prêt à se mêler aux quelques Illuminatis pour les écarter. Il était clair qu'il ne fallait pas s'attendre à une discussion tranquille vu la rancœur que les hommes avaient emmagasinés au fil des mois. En cet instant, le brun avait plus peur qu'on prenne la défense d'Aanna par son don pour une attaque, ce qui n'irait vraiment pas en leur faveur. cela dit ça devenait une nécessité pour éviter les attaques qui l'empêcherait de s'exprimer.

Les mots du vigile non loin qui parlait avec son collègue via talkie-walkie devenaient inquiétant. Calculer un éventuel itinéraire de sortie devenait primordial si une foule brandissant des fourches et des torches s'amassait devant le studio. Oh Nybbas avait été malin, il devait être désormais très loin d'ici à l'heure qu'il est, laissant l'Archange endosser toute la responsabilité en cas d'émeute. Ni une ni deux, Elemiah saisit son smartphone et pianota quelques mots qu'il envoya à quelques contacts angéliques histoires qu'ils viennent immédiatement sur les lieux.

Ma migraine va en s'aggravant. Je ne sais plus si c'est les cris des spectateurs outrés qui la provoquent, ou l'inverse. Ma vue est brouillée, une goutte de sueur glisse sur mon front, mais je souris inlassablement, priant pour que les hommes puissent se souvenir qu'un jour, leurs ancêtres leur ont appris la miséricorde, le pardon. Je ne me sens pas coupable, pourtant, mais s'ils nous jugent bourreaux, alors j'espère qu'ils pourront comprendre que nos intentions n'étaient pas de les blesser.
Même les démons n'ont aucun intérêt à s'attirer ce genre de colère... Je pense à Nybbas, qui doit être loin à présent, et je lui envoie ma sympathie, mêlée de pitié, peut-être, pour sa lâcheté, que j'ai envisagé dès la première minute de notre accord. Je sais que ce dernier est inégal, je ne suis pas idiote au point de me sacrifier à sa place inconsciemment. Je sais parfaitement qu'il n'est pas capable de tenir une parole jusqu'au bout, surtout lorsqu'elle implique son existence même... Le risque est trop grand, pour un démon qui n'a que faire de la morale.

- Y a-t-il beaucoup de vos semblables, à Melbourne ? Enchaine toujours le présentateur, avide de tirer sans doute le plus d'informations possibles de moi, avant que la foule ne parvienne à m'arracher à son micro. Pourquoi ne se révèlent-ils pas ?
- Oui, nous sommes nombreux ici, je réponds calmement, m'attirant encore une fois des exclamations choqués des spectateurs. Mes "semblables", comme vous dites, vivent une vie paisible, ils ont liés de réels liens d'affection avec leur entourage, et ils ne tiennent pas à briser cela.
- Mais... Êtes-vous capables d'aimer ? Lance-t-il finalement, comme une pointe acérée, visant le cœur. Vous parlez en effet d'affection, mais l'absence de possible confiance, dans une relation en sens unique et basée sur des mensonges...

Il continue ses palabres, et je ne l'écoute plus. Je retiens un hoquet de douleur, et lance un regard suppliant à Elemiah. Je suis à bout de courage, et je sens que mes pouvoirs m'échappent... Comment sont-ils devenus si puissants, en un rien de temps ? Leur force m'écrase, et l'évocation de l'amour finit de m'achever. L'animateur se met soudain à loucher, et éternue bruyamment, répandant une gerbe de sang sur sa chemise parfaitement repassée.

- Vous êtes gentille... Si gentille... M'avoue-t-il avec un sourire béat, dont quelques dents ont virés à l'écarlate. Vous nous aimez vraiment n'est-ce pas ?
- Je... Je jette un regard affolé à une jeune rousse, qui commence à hurler des slogans de pub pour la faction divine, avec de grandes emphases. Que se passe-t-il ?

Je secoue la tête, et cherche des yeux mon père, alors que deux agents de sécurité baraqués m'amènent hors du plateau, plantant là mon interviewer : mon interlocuteur ne parait pas apporter à ma disparition une énorme importance, occupé à déclamer un Ave Maria. Sont-ils devenus fous ? La cause de cette subite folie ne m'est pas étrangère... J'ai bien peur d'en être l'origine la plus certaine et irréfutable.
Je ne sais que trop bien ce qui va se passer, désormais. J'ai mis le feu aux poudres, j'ai donné la parole à une guerre froide, qui va éclater désormais en un violent combat devant les studios télévisés.

- Je ne suis pas désolée... Je parviens à articuler, ma voix presque boudeuse, enfantine, couvrant à peine les hurlements qui sévissent maintenant tout proches, avec un sourire. Non, je ne le suis vraiment pas. Il fallait bien qu'un jour, un vent de vérité secoue l'arbre pourri qui nous porte, pour que des branches plus vigoureuses puissent y pousser. Grayson ?

J'ai envie de l'appeler, assez haut pour qu'il puisse m'entendre, mais je n'ose pas. J'ai envie d'employer enfin son véritable nom, qu'il puisse être celui qu'il est vraiment, comme moi désormais, sans se cacher, sans honte... Mais je ne peux lui faire courir ce risque, pas sans qu'il ne l'ait lui même choisi.
Sans bien comprendre comment, je me retrouve au milieu des habitants de Melbourne, jetée à leur merci comme une vulgaire sorcière de Salem donnée en pâture aux inquisiteurs. C'est bien de cela qu'il s'agit. Je perçois les regards mauvais sur moi, avides de détruire, férus de vengeance, pour inutile qu'elle soit.

- Az ? Mes prunelles tombent sur une silhouette familière, et mon sang ne fait qu'un tour. Je fais un pas pour le rejoindre, pour m'assurer que c'est bien lui, que... Quand un chauve agressif m'attrape par les cheveux, en préférant quelques insultes. Je couine de douleur, et gigote pour échapper à sa poigne, en vain. Il est aussitôt rejoints par l'un de ses confrères illuminati, qui tire sur mon haut pour l'arracher. LACHEZ-MOI ! S'il vous plait...
- Alors, montre-nous tes ailes, sale piaf divin ! Ordonne le barbu avec un ton autoritaire, menaçant, tandis qu'autour de moi, j'entends d'autres exclamations plus protectrices. On va te déplumer un peu !
- Lâchez-moi. Je suis sûre que vous ne voulez pas me faire de mal... Cette fois-ci, je suis plus calme, plus droite. Je tiens ma position d'archange, quelle que soit la situation. Je sais qu'heureusement, tous les illuminatis ne sont pas aussi brutes que ceux là.
- Non... Je ne veux pas... Concède-t-il soudain, d'un air hébété.

La frayeur qui se mit soudain sur le visage de son compagnon doit être le parfait miroir de la mienne : jusqu'à présent, je n'avais jamais réussi à implanter vraiment une idée, quelle qu'elle soit, dans l'esprit embrouillé des pauvres victimes de mon don... Et je sens que cette amélioration ne va pas diminuer mes ennuis...

La tension s'élevait, émanant à la fois de l'Archange des Convertis, mais aussi de la foule de plus en plus nerveuse. Les questions posées à Ange ne firent qu’aggraver cette situation déjà instable, tel une corde sur laquelle elle avançait maladroitement. La question qu'il ne fallait pas poser à la blonde sonna comme un tocsin annonçant un fléau et le regard qu'elle lança à Elemiah lui glaça instinctivement le sang, presque horrifié à son tour. Les choses dégénéraient, Ange commençait à trop relâcher ses dons, son intervention télévisé provoquait tout l'inverse de ce qu'elle avait espéré. Nybbas devait être à présent installer dans son coin à jubiler de cet échec.

« Anna! » Le cri se mêla à ceux de la foule, le faisant passé inaperçu. L'Archange était en train de se faire jeter en pâture aux lions, mise dehors comme une paria, une sorcière qu'il fallait faire monter au bûcher. Partagé entre la colère et la tristesse de voir ces hommes devenir fous, Elemiah tenta de percer la foule, restant aussi discret que possible pour garder sa couverture et ainsi agir plus discrètement. Les habitants de Melbournes s'entassaient comme de véritables guêpes dans un nids, laissant peu de possibilité à l'Ange de sortir pour récupérer Anna. D'ailleurs il l'avait tout bonnement perdu de vue.

A deux doigts de déployer ses ailes pour survoler la foule et sortir l'Archange de ce chaos, il aperçut Asriël accompagné de sa fille entrer à nouveau dans le bâtiment. Ce fut dans un soupir de soulagement qu'il accouru vers eux, bien que le calvaire était loin de prendre fin puisqu'il ne faisait que commencer. L'Ange acquiesça au paroles d'Asriël, garder la couverture restait le plus judicieux, un Ange découvert avait provoqué une véritable émeute, de véritables poissons tournant autour d'un appas, alors deux de plus il n'osait même pas imaginer.

Sans même profiter d'une seconde de répit, les portes s'ouvrirent en grand. Ils étaient décidément partout.  « Attendez! » Lança-t-il avant que les deux autres Anges n'entament leur course. « Je suis certain que Nybbas a fait construire un passage ou quelque chose qui y ressemble pour pouvoir sortir sans être remarqué. » Son regard se posa ensuite sur la secrétaire qui observait les Illuminatis entrer avec un sourire satisfait. Serais-ce une bonne idée d'user de son don sur elle pour la convaincre de leur indiquer la bonne route à prendre et ainsi s'épuiser? Il n'avait pas le temps de réfléchir, profitant de sa couverture humaine pour se faufiler jusqu'à elle et l'attraper par dessus son épaule en la tenant fermement histoire qu'elle ne lui file pas entre les doigts. Pas le temps de commencer à faire ça, il fallait d'abord qu'il se mettent en lieu sûr. Il se mit à courir avec ses deux compagnons dans la même galère dans ce lieu qu'il n'avait pas eu le temps d'étudier comme il le fallait.

Il fit signe aux Archanges de s'arrêter dans un des couloirs tout en profitant de leur avance. Il posa la secrétaire du Prince Démon qui hurlait pour les faire repéré sur le sol avant de lui poser fermement la main sur la bouche et plonger son regard dans le sien, commençant les vagues de persuasion, espérant ne pas devoir user de cette capacité trop longtemps sous peine de ne plus avoir assez de force pour sortir de ce guêpier.

« Maintenant tu vas m'écouter. Je suis de ton côté d'accord? Je travaille pour Nybbas moi aussi. Nous sommes en danger et nous devons sortir de là aussi discrètement que possible, il faut vraiment que tu nous montres la sortie la plus sûre. » Le débit employé était clair et le ton on ne pouvait plus sérieux. Il fallut quelques secondes à la jeune femme avant de cesser de se débattre et d'acquiescer, prise d'un élan de panique, persuadé qu'elle faisait elle aussi partie des victimes potentielles. Elemiah se tourna vers Asriël et Ange, leur lançant un regard plutôt satisfait, malgré la vague d'épuisement qui se faisait déjà lourde, tout en relâchant la secrétaire qui se mettait déjà à courir dans les couloirs en les priant de les suivre. « Par ici, vite! »

Quelque chose ne tourne pas rond... Centrée sur moi-même et cette vague de puissance qui me submerge, je sens à peine la poigne ferme d'Asriël qui m'entraîne de nouveau à l'intérieur. Ne suis-je qu'un poupée, pour lui, pour eux ? Les illuminatis nous voient ainsi, comme des créatures sans cœur, faites d'intérêts et d'ambitions... Mais qu'en est-il réellement ? La question de notre identité n'est pas aussi évidente qu'elle en a l'air. Depuis quelques temps, je parviens enfin à me voir comme un être à part entière, avec son caractère et ses espoirs propres, indépendant de la volonté divine. Depuis quelques temps, je fais des choix... Ne définissent-ils pas mieux que tous ses aveux qui je suis ?
Quoiqu'Elemiah, Asriël et les ordres célestes puissent en dire, je suis persuadée que Nybbas et moi avions un accord sincère... Je pense que notre entreprise n'a pas échouée, comme elle en a pourtant l'air. Ce flux d'énergie, que je sens en moi, ne provient-il pas de tous ces humains qui, subitement, se sont mis à croire en moi ? Je lève donc un regard assuré vers mon collègue, dont les mots peinent à me toucher, et lui offre un sourire rassurant.

- Pourquoi ne peux-tu avoir confiance ? Je lui chuchote doucement, de moins en moins touchée par la panique ambiante. Mon intervention n'aura probablement pas eu l'effet escompté en apparence, mais je sais que je n'ai pas eu tord. Tu as peur, je constate, en fronçant les sourcils. Tu es fâché ? J'ai envie d'ajouter "encore", mais le mot reste bloqué par mes lèvres, qui se souviennent toujours de notre dernière conversation...

Allons, pourquoi se met-il dans cet état, l'archange qui ne craint pas la mort ? Que peut-il redouter avec tant de force, qu'il en perde son sang froid ? Est-ce moi qui l'effraie ? Si la panique m'a bel et bien émue quand les hommes se sont mis à obéir à mes pensées, j'en éprouve maintenant un étrange sentiment... Je crois que je me suis saoulée à ce soudain regain de foi chrétienne, et que j'en suis désormais ivre, sonnée, presque.
Je regarde la scène qui se déroule sous mes yeux comme si je n'en faisais pas partie, hébétée. Elemiah agresse une jeune femme, et elle finit par accepter la persuasion qu'il lui impose, béate : je sais d'où me vient cette nouvelle capacité que je me suis découverte, et cette constatation me fait sourire.
Nybbas s'est enfui, bien sûr... Il aurait pu, il est vrai, me donner le secret de sa disparition si rapide. Quel démon sournois ! Cette pensée m'amuse plus qu'autre chose. Dans un coin de mon esprit, libre de toute rancune, je lui souhaite bonne chance - mon instinct me souffle que je ne le reverrai pas de si tôt.
Alors qu'Elemiah, satisfait, s'apprête à suivre la jeune femme qu'il a convaincu de nous indiquer une sortie, je me relève, et dévisage posément mes compagnons.

- Je ne peux pas partir, je déclare tout simplement, d'une voix qui ne laisse pas de contestation possible. Des gens se battent pour nous, là, dehors... C'est le moment de prouver que je ne me cache plus, que je suis avec eux, de leur côté quoi qu'il arrive.

Comment pourrais-je encore me prétendre archange, si je lance des bombes dans la nature, sans prendre le risque de les dégoupiller moi-même ? Ma place est là, dans la foule, jusqu'à ce que cette lutte qui se produit devant les studios touche à sa fin.
Je retiens un rire en devinant l'expression d'Asriël, à cette annonce - n'est-il pas le spécialiste des sacrifices comme celui-ci ?
Je le fixe en hochant la tête.

- Si j'abandonne maintenant, alors rien n'aura de sens, je déclare. Il sait mieux que quiconque que j'ai pris la voie de la vérité, et que rien ne m'obligera de nouveau à me montrer lâche et à la taire, peu importe comment elle est accueillie. Elemiah, suis-la... Il faut prévenir Eve et ses anges... Elijah, aussi.

Je réfléchis, au plus vite. Il serait en effet préférable de calmer un peu les pulsions de violence qui nous entoure, pour y voir plus clair. S'il y a bien une chose que je regrette dans cette opération, c'est d'avoir voulu agir seule. L'excès d'orgueil qui m'a étouffé pourrait causer ma perte : il me faut l'appui des troupes du Seigneur pour contrôler cette émeute. Accepteront-ils de m'aider, maintenant qu'ils sont devant le fait accompli ?

BOUM !

Une énorme explosion, assourdissante, nous couche tous au sol, avant même que mon père ait pu obéir, ou contester, ma proposition. Il semble qu'il soit trop tard : la petite manifestation a dégénéré. Je remue avec difficulté les bras, essaye de me redresser pour voir les dégâts.
Un liquide gluant coule sur mon front, trouble un instant ma vue. Mes tympans sifflent. Les murs tremblent encore, et des morceaux de bétons se détachent des fissures en tombant lourdement sur le sol. Je cherche des yeux Elemiah et Asriël, suffoquant sous la poussière. Oubliées mes belles paroles ! S'il leur arrivait le moindre mal par ma faute... Et combien de morts mon inconscience coûtera-t-elle ?
Les humains n'étaient pas prêts... Ou peut-être fallait-il indubitablement en arriver là, à un moment ou un autre.

Héhé:

Les mots d'Ange transpercèrent son serviteur qui avait prit cette casquette de père. Il était prêt à la contredire dans un instinct purement protecteur pour qu'elle se mette en lieu sûr. C'était peut-être totalement égoïste, mais les vieilles habitudes de Dis refaisaient surface en cet instant, prêt à braver la hiérarchie. Elle lui en voudrait probablement, mais maintenant qu'il avait retrouvé sa fille il était hors de question de lui faire courir des risques. D'un autre côté Ange était bornée et refuserai catégoriquement toute tentative de sa part de la sortir de là. D'ailleurs la demande qu'elle lui transmit lui déplut grandement. A quoi bon suivre cette pauvre femme qu'il avait sous son emprise si c'était pour abandonner Ange? D'ailleurs l'emprise sur l'alliée de Nybbas s'évapora en une seconde.

Le souffle de l'explosion projeta Elemiah en arrière dans les gravas, le sonnant dans un acouphène aigu et insupportable qui semblait réduire sa tête en morceaux. Il retrouva ses sens assez rapidement, regagné par une force étrange qui devait émaner de l'extérieur. Etait-il possible que...tout cela fonctionne? Il reconnu assez facilement l'hôte d'Eiael qui se tenait devant eux, au moins un peu d'aide en plus. Il lui lança un sourire en coin, mais l'Ange des Rêves semblait éviter tout contact avec lui, étrange. L'avait-il blessée sans le vouloir lors de leur dernière entrevue?

A ce moment précis, Asriël semblait être frappé par la foudre d'une illumination. Si les premiers mots qu'il prononcé restèrent flous, l'Ange des Convertis finit par comprendre à son tour ce qu'il se produisait derrière toute la colère des Illuminatis. Les choses semblaient prendre un nouveau tournant, la force des prières et des croyances parcourait leurs âmes dans une douce chaleur agréable et rassurante. Ils recommençaient à croire. Le regard cyan de Grayson se posa sur sa fille avec cette satisfaction mêlée à la fierté. Cela devait rester discret, leur lien devait se dissimuler sous celui de l'Archange à son serviteur, elle seule serait capable de comprendre.

« Je le sens oui, je comprends enfin. C'est le moment de donner tout ce que nous avons. » Fit-il en se tournant vers Asriël, abandonnant instantanément toute idée de fuite, comme atteint à son tour par cette révélation qui les frappait tour à tour. Non il ne fallait plus. « Je devrais être capable de tenir assez longtemps pour les plus réticents oui, même si le mieux reste de les raisonner avec des mots francs et honnêtes. » Répliqua-t-il pour pouvoir exercer la suite des opérations.

Il tendit un mouchoir intact qu'il venait de sortir de sa poche à Anna pour qu'elle hôte le sang de son front, restant à ses côtés. Au diable Nybbas et ses manipulations, les choses étaient sur le point de tourner considérablement et tout son être vibrait déjà à cette pensée. Anna pouvait se révéler merveilleuse et continuerait de le surprendre.

Outch. Je sens des mains m'aider à me relever, et leur contact me redonne l'énergie dont l'explosion m'a privé quelques instants. Asriël. Un frisson me parcourt à cette constatation, et je m'écarte doucement, pour ne pas souffrir plus de cette caresse involontaire que des blessures qu'ont provoqué ma chute. Ce n'est pas le moment de laisser mon cœur se distraire. Je lève vers lui un regard plein de conviction, et ses prunelles me renvoient la même foi inébranlable, celle qui nous a toujours rassemblé lors de nos missions. Je sais qu'il est avec moi à présent, vraiment.
Mon Dieu pardonnez-moi... Je me mors discrètement la lèvre, et me détourne pour accueillir Eiael, avec un sourire. Elle aussi était dans la confidence, même si j'avais minimisé les conséquences probables de l'entreprise en lui en parlant, pour ne pas trop l'inquiéter - d'où son arrivée tardive, sans doute, dénuée de méfiance. Sa gentillesse la rend parfois plus naïve que moi-même, ce qui n'est pas peu dire... Et ce qui est une des raisons pour laquelle je tiens tant à notre amitié.

- Le plan, c'est juste d'y croire, je réponds, presque amusée, à ma nouvelle colocataire, sachant parfaitement que la situation ne se prête pas à l'humour. Ce flux constant de pouvoir qui m'assaille m'enivre, et je suis plus déterminée que jamais à montrer à ceux qui prient pour nous à présent qu'ils ne se méprennent pas. Nous ne devons surtout pas alimenter la violence... Les guerres au nom de Dieu sont une aberration, et mon but n'a jamais été d'en déclencher une.

Même si au fond, je sais que le conflit sera inévitable, et que nous y viendrons un jour... Très prochain. Les tensions qui se sont crées, petit à petit, lancinantes, sournoises, dans les recoins de Melbourne, ne pourront surement pas éclater au grand jour pacifiquement. Nous le savons tous. Et pourtant, nous autres anges, nous maintenons à tout prix cette paix presque hypocrite, tant qu'elle peut encore durer. Je sais même que certains, dans nos rangs, se tiennent prêts à sortir les armes, et leur vision violente de nos croyances m'effraie.
J'espère que les autres sauront nous aider, dans notre entreprise pour apaiser la foule... Qu'ils sentiront comme mes camarades présents le déferlement de puissance, qui provient de ma révélation et de la confiance qu'elle a inspiré parmi les hommes.

- Profitons du fait que les mots soient encore des armes assez fortes, alliés à nos capacités, pour apaiser les esprits, j'approuve mon père, que je remercie finalement, en silence, de rester à mes côtés. Tant pis, si nous sommes si peu, au moins nous sommes ensemble. Allons-y.

Asriël a bien résumé l'utilité de chacun pour la suite des évènements, je n'ai rien à ajouter. Nous allons faire de notre mieux pour que la manifestation qui gronde contre les portes du bâtiment se disperse, pour retarder l'échéance d'un véritable combat, pour laisser les illuminatis réfléchir à leur sort, et à leur allégeance, avec plus de distance et de lucidité face à l'identité que je leur ai violemment imposée. Après tout, ils savaient déjà... Je n'ai fait qu'admettre que je n'ai pas peur de leur réaction, parce que je ne veux que leur bien.
J'essuie discrètement mon front, et observe sans grande inquiétude le liquide écarlate, poisseux, qui colle mes doigts : mon hôte a survécu à bien pires blessures, et je sais maintenant qu'il peut résister encore mieux aux agressions extérieures. D'ailleurs, je crois que la légère plaie se renferme déjà, picotant sans mal mon cuir chevelu.

Nous n'avons guère le temps de faire un pas de plus : déjà, les manifestants gagnent les locaux, profitant de la déflagration pour outrepasser la sécurité initiale du bâtiment. Le chaos devient vite total, même si les allégeances de chacun sont bien claires, et les cris clairement orientés.
Des insultes irritent mes tympans, mais des prières me comblent, compensant la violence de l'instant. Je ne distingue plus guère mes camarades. Je perçois leur présence, au mieux. Je me concentre sur mes voisins proches, leur insufflant une faible dose de cette confusion que je peine à contrôler désormais, si j'ai jamais su m'en accommoder un jour.
Dans le déferlement des évènements, qui m'échappe, je comprend que mon destin n'est plus entre mes mains.