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Morgana marchait en rue avec le visage de la personne heureuse, mais crevée, qui rentre chez elle après une folle soirée, et c'était exactement son cas.

La nuit avait été longue - si longue, en fait, qu'elle s'était prolongée une bonne partie de la matinée. Elle l'avait passée en compagnie de Belphegor, et, comme à leur habitude, les deux démons n'avaient pas fait les choses à moitié. Mais il lui fallait bien ça, pour se détendre, pour décompresser... Se défoncer pour oublier les petites frustrations de la vie quotidienne. Et à ce niveau-là, Morgana n'était pas en reste. Le Panthéon celte était à présent officiellement au complet, et ça la faisait rager. Déjà, parce que les rangs démoniaques faiblissaient de jour en jour, et que ce n'était pas cette victoire païenne qui allait arranger les choses. Ensuite, parce qu'elle en voulait personnellement à une certaine déesse celte et que la savoir satisfaite lui donnait des boutons.

Ou plutôt des remontées acides.

La démone soupira - là voilà qui se remettait à ressasser sa mauvaise humeur. Pas bon, ça. Inutile. Surtout connaissant ses tendances à l'emportement. Elle préféra se concentrer sur son chemin - un parcours prévisible et précis qui ne demandait pas de grands efforts de réflexion. C'est qu'elle finissait par bien connaître Melbourne, à force d'y vivre... Elle s'engouffra dans une rue transversale plus petite et plus sombre que la précédente. C'était son raccourci habituel : peut-être pas le passage le plus accueillant, mais - elle le savait - le plus rapide. Son appartement n'était plus très loin à présent, et elle était impatiente d'y rentrer et de s'affaler sur un divan. Après une nuit si intense, elle pouvait bien s'accorder une journée de repos !

Elle traversa quelques rues sans croiser un chat... certes, ce quartier en particulier n'avait jamais été très fréquenté, mais en cette période trouble, c'était toute la ville qui se fanait. Depuis quelques mois, une sorte d'exode avait eu lieu parmi la population humaine des lieux. Magasins fermés, maisons à vendre, Melbourne se vidait véritablement de sa vie. Incroyable, comme les gens semblaient décidés à fuir les endroits où toutes les choses intéressantes se produisaient... Morgana avait du mal à le comprendre, encore que de toute façon, ça ne la concernait pas : qu'elle le veuille ou non, elle était bien obligée de rester sur place...

Pas âme qui vive, donc, sur le chemin de la démone. Jusqu'à une intersection. Jusqu'à une... silhouette ?

(quoi ?)

Morgana regarda plus attentivement vers le coin où il lui semblait distinguer... Non, elle ne rêvait pas - il y avait bien quelqu'un, là-bas, dans l'ombre, en plein dans son chemin. Quelqu'un qui avait tout l'air de l'attendre.

Presque aussitôt, un sentiment de curiosité la titilla. Elle en était sûre, cette... personne (ami ? ennemi ? démon ? ange ? autre ?) était à pour elle (il n'y a pas de hasard). Que lui voulait-elle ? La prudence lui aurait conseillé de se méfier, mais Morgana ne comptait pas laisser ce mystère sans réponse. Elle ne s'immobilisa pas - ne ralentit même pas le rythme de sa marche. Si cet inconnu était là pour elle, elle n'allait pas le décevoir.

Elle finit par arriver à la hauteur du mystérieux personnage, (ami ? ennemi ? au pire tu as ton pouvoir, en cas de danger, pas de risques) et leva les yeux vers lui.

"Hadès ?"

Elle laissa échapper le nom en reconnaissant le visage. Jim Lewis. Hades. Une mauvaise surprise... Oh, elle le connaissait très bien (ce péteux), lui et sa position au sein du panthéon grec... Elle le connaissait, et elle pensait aussi connaître la raison de sa présence.

Il faut dire qu'ils ne s'entendaient pas. Plus précisément, Morgana ne pouvait pas le voir en peinture. Hades faisait partie de ces gens qui aiment la mort, mais pas sous toutes ses formes. Les maladies, tout ça, il ne cachait pas trouver ça malpropre. Une attaque personnelle, aux yeux de Morgana, qui n'appréciait pas du tout qu'on la prenne de haut de la sorte. La démone avait tenté de se venger, un peu auparavant, en compromettant sa mission d’infiltration chez les payens en tentant de le balancer à la déesse Morriganne. Et à priori, il venait réclamer des comptes.

Elle marchait sur des œufs.

Sans surprise, le faux dieu entra rapidement dans le vif du sujet : ses manigances avec la déesse celte. Un point positif était qu'il n'avait pas l'air d'être sûr de son implication dans l'affaire : de simples soupçons, meme fondés, valaient mieux qu'une certitude.

Une part d'elle même avait envie de lui hurler : "De quoi te plains-tu ? Ta Morriganne, elle n'a même pas voulu écouter mes conseils !". Elle réprima cette impulsion malgré la colère qui pointait le bout de son nez. Non mais vraiment ! Pour qui se prenait-il ? De toute façon, c'était uniquement de sa faute à lui, ce prétentieux - s'il ne l'avait pas vexée à ce point par la passé, ils n'en seraient pas là, alors sérieusement, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même ! Elle sentit une vague d'irritation (de colère) la traverser et fit un effort conscient pour empêcher l'acidité de lui monter aux mains. Allons, allons, un peu de contrôle. ce n'était pas le moment de faire un pas de travers.

Hadès exigeait des explications, et Morgana réfléchissait à la marche à suivre. La solution de retourner sa veste lui effleura l'esprit malgré elle. Bien sûr - ne serait-ce pas simple ? Nier, regretter, changer d’allégeance ? Lui proposer son aide, à ce snob de baron ? Avec un peu de chance, elle en sortirait à bon compte. Peut-être même que ça l’aiderait à s’infiltrer elle aussi chez les païens, comme elle en caressait le projet du bout du doigt. Oui... mais non. La simple idée d'abandonner ses petits plans de vengeance la mettait en rogne. Elle avait prévu de lui pourrir sa mission, elle avait prévu de lui faire ravaler sa fierté, elle ne comptait pas se laisser détourner de son objectif aussi facilement. Ça lui ferait trop plaisir, tiens.

Pas de changement de plan, donc. Et pourtant, il fallait bien avouer que jusqu'à présent, les choses s'étaient plutôt mal passées. Morriganne n'avait pas été coopérative, elles s'étaient quittées en de mauvais termes, et la démone se retrouvait sans d'autres alliés qu'elle-même. Mais tout n'était pas perdu. Morgana avait bien l'intention de tenter à nouveau de s'approcher de la déesse et de son trop puissant panthéon.

Mais Hades attendait une réponse. Morgana poussa un long soupir, prit une inspiration et se lança. "Tu veux vraiment faire ça maintenant ? Soit. En fait... je ne vois vraiment pas où est ton problème ? J'avais l'impression que ta mission se passait au mieux et que Morriganne et toit vous entendiez à merveille... Me serais-je trompée ?"

Ce n'était même pas un mensonge. La position d'Hadès était certes instable, mais à la connaissance de Morgana, son infiltration se passait plutôt bien. Elle continua sur sa lancée...

"Je veux dire, si tu tiens vraiment à me soupçonner de copiner avec les dieux celtes (c'est l'hôpital qui se fout de la charité, mais passons), ce serait sympa que tu ais quelque chose de plus tangible qu'une simple impression pour preuve... Parce que débarquer au milieu de nulle part, sans prévenir, dans une ruelle sombre, pour m'accuser d'un truc dont je ne sais rien... Il y a mieux."

Elle s'arrêta là. Tout ceci n'avait pas vraiment fait progresser la situation, mais pour le coup, ça ne la dérangeait pas. En fait, elle n'avait qu'une envie : tourner les talons et s'en aller. De toute façon, qu'y avait-il à ajouter ?

"Maintenant si tu as terminé, j'aimerais bien rentrer chez moi."